Le cerveau gauche et les délires du droit

Si l’on déconnecte les 2 hémisphères cérébraux et si l’on présente un dessin humoristique à l’œil gauche (correspondant à l’hémisphère droit) tandis que l’œil droit (correspondant à l’hémisphère gauche) ne voit rien, le sujet rira. Mais si on lui demande pourquoi il rit, le cerveau gauche n’en sachant rien ignorant la blague, inventera une explication à son comportement et dira, par exemple : « Parce que la blouse de l’expérimentateur est blanche et que je trouve cette couleur hilarante. »

Le cerveau gauche invente donc une logique du comportement parce qu’il ne peut pas admettre d’avoir ri pour rien ou pour quelque chose qu’il ignore.

Mieux : Après la question, l’ensemble du cerveau sera convaincu que c’est à cause de la blouse blanche qu’il a ri, et oubliera le dessin humoristique présenté au cerveau droit.

Durant le sommeil, le gauche laisse le droit tranquille. Celui-ci enchaine dans son film intérieur : Des personnages qui vont changer de visages durant le rêve, des lieux qui sont sans dessus dessous, des phrases délirantes, des coupures soudaines d’intrigues avec d’autres intrigues qui redémarrent, sans queue ni tête… Dès le réveil, cependant, le gauche reprend son règne décrypte les souvenirs du rêve de manière à ce qu’ils s’intègrent à une histoire cohérente (avec unité de temps, de lieu, d’action) qui, au fur et à mesure que la journée va s’écouler, va devenir un souvenir de rêve très « logique ».

En fait même en dehors du sommeil, nous sommes en permanence en état de perception d’informations incompréhensibles interprétées par notre hémisphère gauche. Cette tyrannie de l’hémisphère gauche est cependant un peu difficile à supporter. Certains s’enivrent ou se droguent pour échapper à l’implacable réalité de leur demi-cerveau. En usant du prétexte de l’intoxication chimique des sens, l’hémisphère droit s’autorise alors à parler plus librement, délivré qu’il est de son interprète permanent.

L’entourage dira du protagoniste : « Il délire, il a des hallucinations », alors que celui-ci n’aura fait que se soulager d’une emprise.

Sans la moindre aide chimique, il suffirait de s’autoriser à admettre que le monde puisse être incompréhensible pour recevoir en direct les informations « non traitées » du cerveau droit.

Pour reprendre l’exemple cité plus haut, si nous parvenions à tolérer que notre hémisphère droit s’exprime librement, nous connaitrions la première blague. Celle qui nous a vraiment fait rire.




Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu, Bernard Werber, Albin Michel